Droit du travail et numérique

En marche contre le projet de réforme des retraites !

Reprenant les conclusions du rapport Delevoye, le Gouvernement a présenté le 11 décembre 2019 son projet de régime unique de retraite pour les salariés, les fonctionnaires et les indépendants.

L’objectif de ce projet n’est pas de financer les régimes de retraite. Ceux-ci disposent de ressources suffisantes pour les décennies à venir selon le Comité d’orientation des retraites :« les dépenses de retraite ne sont plus sur une dynamique non contrôlée et l’évolution de leur part dans le PIB serait maîtrisée tant sur un horizon de 10 ans que de 50 ans. » (Rapport du Comité d’orientation des retraites, novembre 2019)

Le Gouvernement justifie son projet par une ambition de « justice sociale » et la volonté de respecter « les intérêts de chacun ».

En réalité, ce projet tend à affaiblir le niveau de protection sociale et à accroître les inégalités.

1. Le recul de l’âge de la retraite à taux plein

Aujourd’hui, il est possible de prendre sa retraite à taux plein à 62 ans avec une durée de cotisation suffisante (43 ans pour les personnes nées à compter de 1973).

Demain, la possibilité de partir à 62 ans sera maintenue mais l’âge pour bénéficier d’un taux plein sera relevé à 64 ans.

2. Une augmentation dérisoire des pensions minimum du secteur privé

Aujourd’hui, dans le secteur privé, la pension minimum du régime de base est 695,59 euros, à laquelle s’ajoute la retraite complémentaire obligatoire, pour un montant total qui avoisine les 1 000 euros. Dans le secteur public, la pension minimum pour 40 ans de service est 1 170,82 euros.

Demain, la pension minimum « pour une carrière complète au SMIC » serait au minimum de 1 000 euros.

Présenté par le Premier ministre comme une « révolution sociale », cette mesure abaisse en réalité la pension minimum des fonctionnaires et n’augmente que de quelques dizaines d’euros celle du secteur privé, en ajoutant une condition : une carrière complète au SMIC.

3. La sortie des plus hauts revenus du système

Aujourd’hui, l’assiette de cotisations des cadres au régime de retraite complémentaire obligatoire est limitée à 324 192 euros de salaire annuel (8 fois le plafond annuel de sécurité sociale). Ils bénéficient d’une retraite complémentaire calculée sur ces cotisations.

Demain, ce plafond serait abaissé à 120 000 euros de salaire annuel. Seule une cotisation de 2,8% subsisterait au-delà de ce montant, qui n’ouvrirait pas de droits à retraite.

Comme le relève l’Institut de la protection sociale, « les populations les plus aisées auront ainsi leurs propres règles, avec le risque de désolidarisation. » De plus, « le système de retraite par répartition subira une diminution de ses ressources puisqu’il ne percevra plus de cotisations sur les revenus supérieurs mais devra continuer à financer des retraites sur des droits déjà acquis ». 

Les effets du projet seraient donc opposés aux ambitions affichées. Il produirait plus d’inégalités et un déficit du régime obligatoire.

4. Un système par points plus opaque et piloté par l’Etat

Aujourd’hui, le montant de la retraite de base dépend essentiellement de deux variables : le salaire et la durée de cotisations. Ces variables sont connues et prévisibles par tous. Un système par points existe pour la retraite complémentaire obligatoire (AGIRC-ARCCO), piloté par des organisations patronales et syndicales.

Demain, avec le système par points envisagé, le montant de la retraite dépendra de la valeur du point au jour de la liquidation des droits. Son montant sera donc plus difficile à prévoir.

De plus, le pilotage de ce point reviendrait au Gouvernement et au Parlement. Les partenaires sociaux siègeraient au sein du conseil d’administration d’un nouvel établissement public, la « caisse nationale de retraite universelle », qui ne rendrait que des délibérations, sans avoir le dernier mot sur le pilotage du régime.

Le projet prévoit donc de retirer aux partenaires sociaux le pilotage des régimes de retraite au profit de l’Etat. Ce dernier pourra faire varier la valeur du point selon sa politique budgétaire.

5. Des points moins avantageux que des trimestres

Aujourd’hui, un trimestre est équivalent à 150 heures travaillées au SMIC sur une période de trois mois. Il est donc possible de travailler un mois à temps plein (151,57 heures) puis d’être deux mois sans activité pour obtenir un trimestre.

Demain, seule la durée travaillée serait prise en compte pour le calcul des points.

6. Une prise en compte de toutes les années, mêmes les mauvaises

Aujourd’hui, dans le secteur privé, le salaire moyen est calculé sur les 25 meilleures années de la carrière. Dans le secteur public, il est calculé sur les 6 derniers mois. Ces règles permettent d’écarter les mauvaises années : emplois étudiants, période de travail à temps partiel…

Demain, les points seront calculés sur l’ensemble de la carrière, mauvaises années incluses.

7. Un recul de la situation des femmes

Aujourd’hui, les retraites sont bonifiées de 10% au 3ème enfant pour chaque parent et la durée d’assurance est majorée de 8 trimestres (2 ans) par enfant pour la mère.

Demain, ces deux dispositifs seraient remplacés par une majoration de retraite de 5% par enfant dès le 1er enfant. Cette majoration ne bénéficierait qu’à un parent.

Selon les simulations de l’Institut de la protection sociale, la suppression des majorations de durée d’assurance pour les femmes ayant des carrières incomplètes produirait une perte importante de droits à retraite et ce, dès le premier enfant. Cette perte serait aggravée par le recul de l’âge de la retraite à taux plein de 62 à 64 ans. Les familles d’un à deux enfants verraient leurs pensions fondre de 9% à 17%. Pour les familles de trois enfants, cette perte serait « d’une ampleur exceptionnelle » selon l’IPS : de l’ordre de 25% de pension retraite en moins.

De plus, l’âge pour bénéficier d’une pension de réversion serait reculé de 55 ans à 62 ans. Le conjoint survivant, principalement des femmes, devrait ainsi attendre sept ans de plus pour bénéficier d’une pension de réversion. Il pourrait même devoir attendre 64 ans (9 ans) pour que sa pension ne soit pas minorée.

Contrairement aux affirmations martelées du gouvernement, ce projet est défavorable aux femmes, alors que les inégalités importantes qui existent aujourd’hui diminuent avec l’évolution des carrières et des rémunérations.

8. Une négation des différences de métiers et de statuts

Le projet du gouvernement opère un nivellement universel par le bas. Il nie les différences de métiers, de statuts et de conditions de travail qui justifient des protections sociales distinctes.

Il prétend que les différents régimes de retraite seraient un frein à la mobilité professionnelle sans la moindre démonstration.

Il ne dit rien ou presque des carrières longues et des conditions de travail pénibles, dont la définition a été restreinte.

Estimant que la « révolution de l’intelligence artificielle » à venir frappera d’obsolescence les professions indépendantes, il augmente le montant de leurs cotisations et réduit leurs pensions.

La profession d’avocats connaît une démographie dynamique et dispose d’un régime autonome bénéficiaire, qui est contributeur net au régime général. Elle participe au fonctionnement du service public de la justice. Les cotisations des avocats passeraient de 14 % à 28 % et le montant de leurs pensions garanties baisseraient de 1 400 euros à 1 000 euros.

Enseignants, infirmiers, machinistes, médecins, agents publics et salariés du privé, tous sont concernés.

Loin de « l’esprit du Conseil national de la Résistance », dont se prévaut sans honte le Gouvernement, ce projet tend à créer une sécurité sociale minimale sur le modèle beveridgien.

Non à la mise à bas de notre système de protection sociale.

Tous à la manifestation du 17 décembre.

Fraternellement,

Etienne Margot-Duclot