Droit du travail et numérique

Motivation du licenciement : l’art de changer un vice de fond en une simple irrégularité de procédure

Désormais, le code du travail prévoit qu’un employeur peut préciser le motif d’un licenciement après l’avoir notifié au salarié.
 
Cette nouvelle disposition résulte d’un décret paru le 17 décembre 2017 en application de l’ordonnance du 22 décembre 2017.

15 jours pour préciser le motif du licenciement

Pour tout licenciement notifié depuis le 18 décembre 2017, l’employeur peut préciser le motif du licenciement après sa notification.
 
Cette précision peut intervenir de sa propre initiative par courrier recommandé avec avis de réception dans les 15 jours suivant la notification de la première lettre.
 
Le salarié peut également demander des précisions à l’employeur, par lettre recommandée avec avis de réception, dans les 15 jours suivants la notification du licenciement.
 
L’employeur doit y répondre dans un délai de 15 jours.

Une motivation insuffisante ne prive plus nécessairement le licenciement de cause réelle et sérieuse

Il était déjà possible de compléter le motif invoqué dans une lettre de licenciement, par exemple pour répondre à un courrier de contestation ou devant le Conseil de prud’hommes, à condition de ne pas ajouter de motif nouveau en vertu de la règle selon laquelle « la lettre de licenciement fixe les limites du litige ».
 
Plutôt que d’instituer un nouveau droit, ce décret a semble t-il pour objet de « sécuriser » le modèle de lettre de licenciement désormais proposé par l’administration (disponible ici), que l’employeur aurait recopié trop vite, sans prendre la peine de l’adapter à la situation du salarié.
 
Plus encore, ce décret limite les effets juridiques d’une lettre de licenciement insuffisamment motivée.
 
En effet le nouvel article L.1235-2 du code du travail prévoit : « A défaut pour le salarié d’avoir formé auprès de l’employeur une demande », « une insuffisance de motivation de la lettre de licenciement ne prive pas, à elle seule, le licenciement de cause réelle et sérieuse ». (L.1235-2 du code du travail, rédaction issue de l’ordonnance du 22 septembre 2017).
 
Si le salarié ne demande pas à l’employeur de précision dans les 15 jours suivant la notification, une motivation insuffisante de la lettre de licenciement ne prive plus, en elle-même, ce licenciement de cause réelle et sérieuse.

Jurisprudence antérieure

Jusqu’alors, la jurisprudence sanctionnait l’employeur lorsque la lettre de licenciement était insuffisamment motivée. Un motif trop vague et qui n’était pas « matériellement vérifiable » privait le licenciement de cause et réelle et sérieuse. Certes, pour certains motifs, la jurisprudence admettait des motivations très succinctes. Par exemple, la seule mention d’une « insuffisance professionnelle » était admise. Mais pour d’autres motifs, l’exigence rédactionnelle était renforcée. Ainsi, en matière d’inaptitude médicale, l’employeur devait nécessairement préciser dans sa lettre l’impossibilité de reclasser le salarié dans l’entreprise.  En cas de licenciement économique, la jurisprudence exigeait de l’employeur qu’il précise les conséquences du motif économique sur l’emploi du salarié licencié et l’impossibilité de le reclasser dans l’entreprise.

Conséquences sur le contentieux du licenciement

Ces jurisprudences devraient toujours s’appliquer si les salariés ont demandé des précisions dans le délai de 15 jours.
 
En revanche, dans les affaires où aucune précision n’a été demandée dans ce délai, l’insuffisance de motivation de la lettre ne sera plus qu’une « irrégularité de procédure », dont la sanction s’élèvera tout au plus à un mois de salaire (L.1235-2 du code du travail, rédaction issue de l’ordonnance du 22 septembre 2017).
 
Bien sûr, les salariés qui n’auront pas demandé de précision conserveront le droit de contester la rupture de leur contrat devant le Conseil de prud’hommes. Mais pour cela, ils devront s’appuyer sur d’autres arguments que le manque de motivation de la lettre de licenciement.
 
Dans des litiges où les éléments de preuve sont souvent en possession de l’autre partie, cette nouvelle disposition risque de priver les salariés d’un argument de poids.
 
A bien y réfléchir, il n’est pas certain que ce texte facilite davantage la vie des employeurs, en particulier ceux des petites structures. En effet, si leur salarié demande des précisions, ils sont désormais tenus d’y répondre dans les 15 jours.
 
Jusqu’à présent, ils bénéficiaient de plusieurs mois avant de devoir éventuellement justifier leur décision devant le Conseil de prud’hommes.

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